2022 - Éloge des doigts de la main
A l'aube, assis sur la plage il laissait le sable glisser entre ses doigts. Depuis plus d'une heure il enfonçait sa main dans le sable sec et sans aucun effort il suivait les grains éparpillés par l'air agité. Encore et encore et cela ne servait à rien. S'il pouvait revenir en arrière il referait la même chose. Il croyait avoir le doigt mouillé des marins. Toute la nuit il avait tenu dans la tempête. Pas celle qui se joue quelquefois de l'autre côté des vitres mais celle du jeu. Autour du tapis vert, la barcasse de la soirée, un seul capitaine et face à lui les requins. Tout autour de la table, chacun pour soi et tous contre tous. Le magot empilé sous la forme de jetons de couleur empilés, de hauteurs différentes en fonction des mises. Et toute la nuit ils touchaient du bout des doigts la fortune. Rouge, noir, perdu, mise à droite, mise à gauche, pair, impair, passe, manque, plus rien ne va... Et cette foutue bille qui caracolait au fond du cratère en libérant un bruit de grêlons. Les plaques s'empilaient, s'écroulaient et changeaient de bord. Surtout, éviter de se brûler les doigts. La nuit s'écoulait plus rapidement ces soirées-là comme d'habitude. Chacun d'eux balançait sur le tapis sa mise en pensant qu'il était à deux doigts de gagner. Et puis venaient les abandons, les naufragés du jeu qui disparaissaient dans la nuit. Dans cette noyade collective pas question d'être liés comme les doigts de la main. Tous avaient mis le doigt dans l'engrenage. A la fin c'est la capitaine qui ramassait le magot. A l'extérieur le voile doré de la voie lactée les narguait avant de disparaître dans la nuit.
Patrice Monchy, le 17 octobre 2018