2016 - Le chemin de l'exil

7 Avril 2016 - 11:29

photographies et texte > Patrice Monchy

Paris, le 14 mars 2016 > Le chemin de l'exil,

A la station Télégraphe, dans le 20è, c'est un escalator qui vous conduit vers la ville. Le courant d'air bien caractéristique des couloirs du métro vous accompagne jusqu'à la sortie. A cet endroit, la rue de Belleville, après un semblant d'immobilité, plonge vers la place de la République.

En descendant à pied vers le carrefour de Belleville, l'atmosphère, l'air du temps s'affichent, se déchirent,  recouvrent à nouveau les murs. Il y avait bien longtemps que les paroles de la rue n'avaient refleuri sur les façades. État d'urgence, déchéance de nationalité, police partout, justice nulle part, welcome réfugiés s'écrivent, s'affichent même en lambeaux.

Bravo, bravo. C'est par ce mot que l'homme interpelle le photographe. Le photographe prenait des vues d'affiches fraîchement collées sur un mur. L'homme est de grande taille, son visage est légèrement hâlé, ses cheveux sont grisonnants. Il est revêtu d'un manteau, type loden et porte autour du cou une écharpe bleu foncé. Il arbore sur le revers de son vêtement deux badges de la RATP. Il est d'origine algérienne, il ne comprend pas que le gouvernement ait proposé la déchéance de nationalité pour les bi-nationaux. Il est outré que cette proposition soit venue d'un parti politique pour lequel il a voté. Il est secoué. Tout en descendant le boulevard, il dit qu'il est arrivé en France il y a 45 ans, il a gardé une nostalgie de sa Kabylie, vaste plaine qu'il compare à la Normandie avec les montagnes en plus. C'est un exil qui l'a conduit de l'autre côté de la méditerranée. A l'arrière du bateau qui l'emportait sur la rive d'en face, il a vu Alger la Blanche s'enfoncer dans l'eau comme le sucre s'évanouissant dans une tasse de café. 

C'est dans un bistrot que la conversation continue. L'établissement est  tenu par deux jeunes d'origine chinoise. Un autre exil peut-être, mais nous ne le serons pas. C'est le genre de zinc où le monde entier peut s'échouer. L'homme aux deux badges paie les consommation, un thé et un café. Il y a aussi, assise près de la porte d'entrée, plongée dans la presse quotidienne une femme. Tout dans son apparence lui donne un véritable air de parisienne pour celui qui a vu trop de films. Elle a ses cheveux blancs réunis en queue de cheval fermés par une pince. Son sourire est souligné par du rouge à lèvres. Elle a des yeux dont le bleu vient de trop loin. Des rides lui parcourent le visage pour signer ses années d'hier. Elle porte une veste ou un manteau imitant la fourrure et les taches d'une panthère. Les manches de son vêtement laissent apparaître ses deux poignets cerclés par des bracelets. Eh bien non, elle n'est pas parisienne ou plutôt parisienne depuis son exil. Elle est arrivée en France avec ses parents chassés d'Argentine après le coup d'état du général Videla en 1976. Nous apprendrons que son père écrivait dans la revue Les temps modernes et que jusqu'à sa retraite, elle travaillait au centre Pompidou en temps qu'architecte dans le cadre des installations d'exposition. En Argentine, elle a fait des études d'architecture.

Ce bar est devenu le port d'attache de Martha, son adresse postale. Le photographe doit les quitter, le train n'attend pas. Il abandonne temporairement Martha et Hamid qui habite boulevard d'Algérie dans un HLM. Le voyageur, qui a promis qu'il enverrait les photos, continue son voyage en marchant sur le bord du monde.