2015 - 8 de pique et paire de rois

17 Décembre 2015 - 20:19

Photographie et texte > Patrice Monchy / lieu : Paris,  avenue Wilson près du palais de Tokio, à deux pas de la station de métro Iéna / 4 décembre 2008

Nous avons quitté le cercle de jeux plus rondement que de coutume Nous avions été déposées dans notre bel étui rudement. Il nous a semblé que notre joueur ait perdu son calme. Ce n’est pas la première fois qu’il se prend un revers. Il y a eu des éclats de voix et des bruits de porte se sont fait entendre. En cette fin d’après-midi, arrivées sur le seuil de l’hôtel particulier, nous respirons l’air humide qui progresse dans notre petit logement. Nous sommes étonnées qu’il n’ait pas fait disparaître notre étui dans la poche intérieure de son pardessus. Il nous tient dans la main insensiblement. Il remonte l’avenue Wilson pour se diriger vers la station de métro Iéna. Il prend le métro des mauvais jours. Les jours de déshonneur. Nous avançons hâtivement, il pleut. Arrivées près du palais de Tokyo, il se fait bousculer par un piéton pressé qui cavale dans la direction inverse. Lui non plus n’a pas de parapluie. Une bourrasque pénètre dans notre étui qui est mal refermé. Nous sommes éjectées de notre repaire et nous achevons notre vol sur le trottoir délavé. Le temps de reprendre nos esprits, nous constatons que nous sommes abandonnées. Sur les quelques intimes qui sont dispersées à terre, nous sommes trois à être bien tombées. Le 8 de pique et une paire de rois ; le roi de trèfle et le roi de carreau. Notre condition est malheureusement misérable. Nous allons succomber sous cette pluie d’automne et être piétinées par les passants qui se pressent sur ce maudit bitume. Demain matin nous serons toutes gondolées, fripées et refroidies.

Adieu le compagnonnage de nos cinquante quatre figures de couleur. Tous les mois, nous étions mises en valeur sur une table vêtue d’une étoffe de couleur vert. Ces quelques heures nous permettaient de vivre dans le luxe. L’effluve des cigarettes et des cigares était le seul désagrément des soirées. Impossible de tousser car nous sommes uniquement des morceaux de carton. Bien lisses car il faut glisser sans retenue, de préférence à l’envers. A la fin de chacune des parties nous nous retrouvions avec soulagement.

Nous étions loin d'être solitaires sur ce trottoir. Une feuille de platane qui s’en allait tout doucement vers l’hiver avait échoué là. Tout encore innervée de vie, des marques de vieillesse commençaient à poindre sur son visage. Le vert de l’été et le jaune de l’automne sauvaient le ridicule de la situation. Difficile d’engager une conversation entre nous, réunies dans ce hasard météorologique. Nues, égrenant les secondes en attendant l’heure laiteuse du lever du jour. Le dernier.