2022 - le miroir papillon
Le miroir papillon
Dans cette histoire il n’y a pas de « il était une fois », bien que tout conte, quel qu’il soit, ait un début et bien entendu une fin. Situons celui-ci à la fin du 20è siècle. Il me tarde de vous raconter l’histoire des figurines en papier. La naissance de celles-ci a eu lieu vers 2007 – 2008. C’est à cette époque qu’est née une famille, puis une communauté de personnages en papier. Tous avaient le même physique. Une dizaine de centimètres de haut et une même forme figée. Que des silhouettes masculines, question de facilité pour la découpe… mais pas de controverse à chercher quant à la question du genre. Cette communauté a été créée, elle existe, elle voyage. Oui, elle voyage dans un sac. Il faut maintenant faire entrer dans le conte l’artisan qui est à l’origine de ce clan. Tout ce petit monde se déplace régulièrement, à la mer, dans la campagne, en ville,… Partout où ce créatif installe la communauté pour les photographier. Il est toujours très heureux de les photographier, de leur faire prendre l’air, de les exposer à la lumière, de leur donner une visibilité.
Les jours, les semaines, les mois et les années se déroulent sans histoire jusqu’au jour où ? Jusqu’à ce jour où cette aventure m’est rapportée par l’artisan lui-même. Le récit qui va suivre pourra paraître absurde. C’est l’imagination qui doit l’emporter, non pas pour y croire bêtement mais pour se laisser transporter dans une autre dimension. Voici l’épisode, la fable de ce qui deviendra par la suite une légende.
C’est au printemps que se déroule cet événement. Près d’un petit ruisseau qui prend sa source dans un puits. La description du lieu est simple : une petite allée de fausses pierres conduit à un pont de bois qui enjambe le ruisseau. Un pont de petite dimension. Alentour, une nature laissée à elle-même, où se mêlent le lierre, les orties, les tiges de panés et bien d’autres plantes attirées par la lumière et l’humidité. L’artisan décide donc d’y installer sa communauté de figurines ainsi qu’un miroir en forme de papillon. Une fois la scène installée et prête à être photographiée, il lui semble qu’il entend des voix. Des voix qui se font insistantes. Après avoir vérifié qu’il est tout seul dans cette nature, qu’il ne rêve pas, il comprend tout à coup que les mystérieuses voix proviennent de sa communauté de papier. C’est donc un dialogue qu’il lui faut engager avec elle. Surprise, elle se ressaisit vite et un délégué prend la parole :
« On en a marre de rester, entassés, pendant des semaines entières dans le noir. L’hiver au froid et l’été au chaud. On souhaite sortir plus souvent pour prendre l’air et respirer un peu plus. Notre univers est restreint et riquiqui. Et puis les conditions de sortie ne sont pas toujours agréables. Au moindre coup de vent, on a tous peur de s’envoler et d’être emporté vers des endroits inhospitaliers. Par exemple, à la mer, si nous sommes coincés dans le sable, la marée montante aura vite fait de nous dénuder et ainsi, adieu la collectivité. Un jour, c’est le sable qui nous fouette le visage, une autre fois, on manque s’étouffer dans les feuilles mortes ; passons le fait d’attraper des tics dans les fougères, ne parlons pas des désagréments que nous subissons quand tu nous promènes dans les déchets industriels, la poussière, les odeurs, le bruit… bonjour l’hygiène ! Le ridicule ne tue pas. Rappelle-toi notre danse autour des carottes dans le sable et sous le soleil. D’accord tu aimes nous photographier avec nos ombres, mais il ne faut pas exagérer. Nous sommes presque des humains. Nous nous ressemblons beaucoup, il ne faut pas trop en rajouter. On est d’accord, tu nous a fait voyager en Amérique et en Asie. Et là-bas, à Cosney Island, il a fallu dire adieu au copain qui a été emmené au Japon. Une gamine qui en a profité, tout en jouant, avec nous. Nous donner en cadeau pour faire plaisir ? Cela s'appelle exploiter les petits ! Petits mais fiers d’appartenir à cette compagnie. »
« Comment tenir compte de toutes vos protestations. Je n’ai pas envie de vous emmener dans un monde lisse et terne. Je veux faire de vous les représentants de mes pensées, de mon regard sur l’environnement dans lequel je me déplace. Pas facile de gérer ces contradictions. Je vais faire un effort. Mais en attendant, avant que la lumière ne disparaisse, laissez-moi photographier cette nouvelle scène avec le papillon.
Patrice Monchy, le 21 mai 2019