2019 - Liriodendron tulipifera
photographie et texte > Patrice Monchy 2019
Il y a bien longtemps que je n’ai pas déroulé le temps. Au tout début de mon existence lorsque je me déplie, il fait nuit et les étoiles sont à une portée de main. Le jour s’est levé et je me suis aperçu que je suis au sommet, par hasard certainement. En regardant tout autour de moi, je découvre que je ne suis pas seule. Pas seule du tout. Mes compagnes me ressemblent. Je ne suis pas un signe du destin ! Qui suis-je ? Les éléments se jouent de moi, aussi de nous. Pendant de longues heures le soleil devient brûlant et réconfortant. De temps en temps la pluie me roule dessus en suivant mes nervures. Le vent me fait tournoyer dans tous les sens. Une vraie danse de Saint Guy. C’est une vie difficile, laborieuse, rude et pénible. Par contre, je ne connais pas l’hiver. Le printemps, l’été et l’automne me suffisent. En ce qui concerne l’hiver, ce n’est pas dans mon programme. Naturellement ma couleur a changé. Le magicien de l’automne est passé. Toutes encore accrochées à la vie, par un pied, nous attendons en pensant, en pensant à quoi ? Qu’adviendra-t’il de nous, surtout de moi ? Un ciel gris pendant de nombreux jours. Un vent qui n’est plus joueur. La pluie, en continu, devenue glaciale. Mauvais présage. C’est la nuit que tout a commencé. Mes compagnes, dans un dernier salut de tourbillons, ont esquissé une pirouette silencieuse. Là seule en vérité. Le matin je découvre que toute la compagnie est au sol. Quel destin prémonitoire ? Ma bonne fortune me laisse encore dans une position inconfortable. La tête en bas, mais bien accrochée. Puisque ce hasard me condamne, je dois saisir toutes les opportunités, si possible celles qui se présentent. Je suis maintenant handicapée par mon état. Je ne dois pas seulement subir. Je dois m’agripper à la providence. Ce mot ne fait pas partie de mon vocabulaire. Et pourquoi pas ? Il y a bien évidemment la fatalité, la providence peut s’y accrocher, ce n’est pas irrationnel.
Bon dieu, le voyage commence. De tourbillons en tourbillons, venant de très haut, heurtant les bras qui ont supporté mes amies, mon vol plané se termine dans un buisson. Adieu le magnifique parterre de fleurs fanées ciblé. Cela ne sert à rien de penser. Depuis je coule une vie… Est-ce bien une vie ? Collée dans un cahier, un peu froissée et toujours le nez plaqué sur les lignes d’une page ou plutôt d’une homonyme anonyme. Par contre, je porte un nom : Liriodendron tulipifera L. famille : Magnoliaceae. Me voilà pourvue d’une véritable identité.
Patrice Monchy, le 20 novembre 2019