2017 - La valise

8 Septembre 2017 - 23:36

Photographie > Patrice Monchy

texte > Petr Kral / notions de base – proses / éditions Flammarion

Alors que notre valise s'éloigne de nous, dans les bras d'un employé d'hôtel ou sur un tapis roulant, dans un hall d'aéroport, nous l'accompagnons du regard comme si elle emportait une part de nous-mêmes. Quand, ensuite, elle revient vers nous, du fond de la consigne ou d'un autre hall d'aérogare, nous la reconnaissons et la saluons sans tarder, mais avec des sentiments ambigus. Même si elle en a l'air, elle n'est plus tout à fait la même, le voyage qu'elle a accompli sans nous est d'autant plus inquiétant qu'il ne l'a apparemment pas marquée. Parfois seulement on voit par la suite jaillir de la valise, avec nos affaires, une épingle à cheveux inconnue ; une fois vide, elle résonne à peine de l'écho de rires lointains. Il est vrai qu'elle voyage aussi à notre place, qu'elle nous sert de maison ambulante et de boîte noire, nous permettant de visiter par son intermédiaire des espaces autrement inaccessibles. On peut malheureusement que deviner quelles mains la fouillaient, en tâtant impunément – peut être même pendant de longues minutes – notre peigne et notre cigare, notre crayon ; voire de quelles amours, quelles attaques d'affreux portiers contre d'obscènes lacets de blondes la valise a été témoin dans l'obscurité de la consigne. En vain nous l'observons maintenant de loin, postée seule sous un porche désert, dans une ville où nous sommes de passage ; cette fois encore, nous n'allons pas davantage faire connaissance de notre double ignoré auquel nous tendons la valise comme un appât, déjà prêts, peut être, à la lui céder. Il ne nous reste qu'à revenir la chercher, de nouveau résignés à la traîner et à être le valet de nous-mêmes